
Nadav Lapid présente son film au Comoedia, le 8 septembre (photo JFM )
Il est des films qui nous touchent si profondément, qui sont pour nous si marquants qu’on se dit qu’ils vont marquer notre époque, ou, au moins, marquer une date dans la longue histoire du cinéma. Je pense que « OUI » de Nadav Lapid est de ceux-là ! Parce qu’il parle comme aucun autre de la situation du Proche-Orient d’aujourd’hui, ce qui en fait « le point de rencontre entre une urgence politique et le cinéma », comme nous l’a dit le réalisateur. Mais aussi – surtout ? – parce qu’il en parle d’une façon très personnelle, inouïe au sens propre du terme !
Lapid nous donne une vision complexe et nuancée du drame qui embrase aujourd’hui sa région d’origine en tentant, nous dit-il, « d’éviter de tomber dans un piège binaire ». Le réalisateur, qui habite maintenant à Paris, raconte : « Après le 7 octobre, je suis allé en Israël. Jamais je n’avais eu de tels sentiments d’empathie avec ce pays . Mais j’étais conscient qu’on allait vers l’horreur… » Cette perception complexe, contradictoire même, de la situation ne pouvait pas, selon lui, être transmise par un documentaire : seul « un film fictionnel pouvait tenter d’appréhender le monde tel qu’il est, la vie telle qu’elle est… » Car rien n’est simple : « qui ne comprend pas les grattes-ciel de Tel Aviv ne peut comprendre Gaza ». On est bien loin ici de la vision partisane que des ministres du gouvernement israélien ont reproché, sans avoir vu le film, à l’œuvre de Lapid ! »
Mais si le message de Lapid nous touche, s’il laisse en nous une trace brûlante, c’est, bien sûr, par la façon dont il l’exprime . « OUI » est un film baroque, provocant, onirique, à mille lieues du ronron rassurant des comédies sentimentales ou du dogmatisme, légèrement pontifiant, des films « à thèse ». Le style de Lapid est profondément original et, même s’il nous est arrivé parfois en voyant « OUI » d’évoquer le souvenir de Fellini, de Buñuel ou de Pasolini – pas moins !- il est très personnel, unique ! Juxtaposant dans une construction éclatée images choc et séquences frappantes, musique stridente et dialogues décalés, paysages grandioses ou décors prosaïques, le film tire le meilleur de la grande expressivité de ses acteurs : la belle et sensible Efrat Dor et l’étonnant Ariel Bronz qui passe sans crier gare des mimiques comiques les plus incroyables à l’expression juste de sentiments profonds.
En conclusion, « OUI » est une œuvre majeure, remarquable tant par le fond que par la forme qui devrait faire date dans notre cinématographie. a ce titre, on peut regretter avec Lapid, qu’elle n’ait pas été retenue dans la sélection des films en compétition à Cannes 2025, ( même si la Quinzaine a, elle, programmé « OUI »).
Jean-François Martinon