Théatre : Trina Mounier vous signale un spectacle exceptionnel : « YES DADDY » de Bashar Murkus !

« DEUX CORPS, SI LOIN SI PROCHES », des jeux d’une infinie solitude.

Le 79° festival d’Avignon a vécu. Avec ses éblouissements et ses désillusions. D’autres arrivent, comme la Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée qui ouvrira ses portes le 9 novembre prochain. Yes Daddy, programmé sur les trois derniers jours d’Avignon, n’a pu bénéficier du bouche-à-oreille pour se faire connaître et son succès auprès du public est resté quelque peu confidentiel.

Pour tout dire, n’avoir pas partagé mon enthousiasme me chagrine depuis. Et je profite de sa venue prochaine à Montpellier (décidément fort bien loti en matière de festivals) pour écrire ici tout le bien que j’en pense. 

Le titre, d’abord, m’avait intriguée, ainsi que le pays d’origine du spectacle, la Palestine, ce pays meurtri et quasi exsangue où l’on peine à croire que des voix puissantes puissent encore s’occuper à créer du théâtre. L’argument, la rencontre entre un vieil homme qui perd la mémoire et un jeune escort, m’avait semblé, de ce fait, bien futile. Assez naïvement, bien sûr.

Bashar Murkus, l’auteur metteur en scène, et Khulood Basel, productrice et scénographe ne sont pas des inconnus. C’est leur deuxième venue à Avignon. Et les deux acteurs, Anan Abu Jabir, l’éphèbe attendu, ainsi que Makram J. Khoury, un des plus grands comédiens du pays, valent à eux seuls le déplacement, tans leur prestation, leur performance, éblouit. C’est pourtant le scénario qui laisse des traces.

Avec quelques mots d’accueil fort bien tournés et très drôles, Anan Abu Jabir crée une connivence avec le public, annonçant qu’il ne faut rien croire de ce qu’on verra, tant l’intime caché dans le huis clos des appartements échappe à notre entendement. Puis il disparaît, laissant place à l’autre personnage, le vieil homme qui vit apparemment seul, sans autre lien avec le monde extérieur que cet escort qu’il a contacté. Mais quand Amir frappe à la porte, Daddy qui ne s’appelle pas encore ainsi ne peut lui ouvrir : il a perdu la clé, ne sait plus où elle se trouve, tombe de sa chaise roulante, n’arrive plus à se relever. Furieux de perdre ainsi ce rendez-vous tarifé, Amir enfonce la porte. Et Daddy ne le reconnaît pas. S’enquiert. Et prend Amir pour son fils, Samer. Ce qui affole Amir. Dès lors, tout s’enchaîne et se déconstruit au fur et à mesure. Car Daddy ne parvient pas non plus à trouver l’argent promis.

De ces situations presque cocasses naissent bien d’autres énigmes. Qui mène la danse ? Qui est victime de l’autre ? S’agit-il toujours de relation tarifée ? On n’est pas loin des personnages de Beckett, de ces couples qui se haïssent, se disloquent, se recomposent autrement, comme Hamm l’aveugle handicapé et son esclave Clov. Qui est le maître, qui est le serviteur ? Qui détient les clés ? Le spectateur est attiré dans une spirale virtuose où chaque scène contredit la précédente. Car Amir semble se laisser tenter par le rôle qui lui est proposé, allant jusqu’à revêtir les habits de l’épouse décédée, attirer Daddy dans les bras et le plaquer contre son sein. Incroyable Pieta iconoclaste qui témoigne de l’insolence de l’auteur. Et pourtant cette scène-là comme beaucoup d’autres nous touche au plus profond. Plus on s’éloigne de nos repères logiques, plus l’émotion sourd. Car, au fond, et c’est sans doute là que l’on rejoint la réalité palestinienne, tous deux sont plongés dans une solitude radicale, contraints d’inventer des stratagèmes pour tenter de trouver un peu de chaleur humaine, fût-elle illusoire…

Voici en un mot le spectacle qu’il faut aller voir. C’est du grand, du beau théâtre…

6 & 7 novembre 

Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée (Théâtre des 13 vents – Montpellier)

14 novembre Théâtre Alibi (Bastia)

18 & 19 novembre

Théâtre Joliette (Marseille)

 

Photos @ Khulood Basel

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