
Guillermo Galoe à la presentation de son film au Comoedia, le 1er septembre (photo JF )
Le film le plus dépaysant de la rentrée ne vient pas du bout du monde mais de la péninsule Ibérique ! L’Espagne qu’il nous décrit est bien différente de celle à laquelle nous sommes accoutumés : point de ramblas animées ou de plages de sable doré, pas de quartiers historiques ni d’hyper-centres affairés ; la totalité du film se déroule à la Cañada Real, le plus grand bidonville illégal d’Europe, à un jet de pierre de la capitale espagnole mais à des années-lumière de sa vie moderne, de son ambiance mondialisée. Dans ce non-lieu sans cesse menacé par l’expansion urbaine vit, sans eau courante ni électricité, une population mêlée, composée de Gitans et de Maghrébins, qui tire sa subsistance de trafics, légaux ou non: récupération de ferraille ou commerce de drogues.
Guillermo Galoe, le réalisateur, s’est immergé dans ce monde, si loin et si proche de l’endroit où il vit, pendant six ans, pour construire son film. Durant tout ce temps, il a patiemment établi des liens avec les habitants du quartier. Pour recruter les participants, après l’échec d’un casting classique, il a fait du porte-à-porte, proposant aux personnes intéressées de tourner des bouts d’essai avec son téléphone portable, un moyen de mieux connaître la réalité de leur vie quotidienne et la manière dont elles la considèrent.
Qu’est-ce qui poussait ses interlocuteurs à s’engager dans cette entreprise ? avons-nous demandé au réalisateur. L’argent d’abord, mais aussi le désir d’échapper à ce monde clos, voire, pour certains, l’espoir de sortir de la drogue. Quoi qu’il en soit, le film offrit à toutes les personnes intéressées la possibilité de participer à l’aventure : s’il n’y avait évidemment pas de rôle pour tous, chacun trouva à s’employer, soit comme figurant, soit en participant aux enregistrements de sons d’ambiance ou de musique, vaste sonothèque à partir de laquelle a été exclusivement réalisée la bande-son du film, soit encore en s’investissant dans des tâches matérielles. Personne n’a été laissé de côté.
C’est ce qui fait tout le prix de « Ciudad Sin Sueño » : si l’on s’attache à l’histoire de Toni, jeune garçon Rom de 15 ans, tiraillé entre son attachement à son quartier et la volonté de sa famille de vivre ailleurs, c’est que tout est vrai dans son parcours, dans ses relations aux autres, dans son intégration à cet étrange espace social que le film nous dévoile. Le titre du film évoque une « Cité sans sommeil » ou une « Cité sans rêve » ce qui parait paradoxal : car si la cité ne dort pas, ses habitants, eux, sont portés par des rêves farouches, obstinés, d’autant plus forts qu’ils semblent irréalisables. Ainsi l’ardent désir de Toni de continuer à vivre à la Cañada Real avec son grand-père et sa chienne bien-aimée…
On ne peut que souhaiter que ce très beau film, justement couronné à la Semaine de la critique du Festival de Cannes, ne passe pas inaperçu et qu’il trouve son public au milieu d’une rentrée cinématographique abondante et attractive.
Jean-François Martinon