
Marie-Hélène Roux et Manon Bresch présentent le film à Lyon le jeudi 25 septembre. ( photo JFM )
« MUGANGA » ça signifie celui ( ou celle précise la réalisatrice) qui soigne. C’est ainsi que ses patientes appellent le Dr Mukwege. Et des patientes il en a des milliers, hélas, parce qu’il s’est donné comme mission de soigner et d’aider à se réadapter les milliers de femmes, violées, mutilées, estropiées, par des milices dans la région du Kivu dans l’est de la République Démocratique du Congo. Dans cette région, le viol collectif est utilisé systématiquement comme une arme, pour terroriser la population et protéger un fructueux trafic de coltan, une terre rare indispensable à la fabrication de nos téléphones portables et autres tablettes électroniques. Ce scandaleux crime collectif, qui dure depuis des dizaines d’années et qui va en s’aggravant, est connu mais cette information ne fait pas les gros titres, il y a comme une conspiration du silence autour de cette tragédie, faut-il se demander à qui ces crimes profitent ?
Le docteur Mukwege a cherché depuis longtemps à briser ce mur du silence : il a multiplié les interventions dans tous les forums officiels, en particulier à l’ONU. Son action a été récompensée par de nombreux prix ou décorations et il a reçu en 2015 le prix Sakharov et , en 2018, le prix Nobel de la Paix. Les médias ont parlé de son œuvre, des livres et un documentaire « L’homme qui répare les femmes » de Thierry Michel et Colette Braeckman (20#5 ) lui sont consacrés. Malgré tout cela, la cause des femmes du Kivu reste loin des préoccupations de nos opinions publiques.
Depuis une dizaine d’années, Marie-Hélène Roux s’emploie à mettre sur pied un film de fiction sur ce sujet. Pourquoi une fiction ? Parce qu’il lui semble que cela permet de toucher un public plus large que les autres médias et, surtout , que la fiction permet de mobiliser émotionnellement le spectateur, de favoriser son identification aux victimes. Consulté dès le départ de l’aventure, le Dr Mukwege avait accepté que le scénario puisse s’écarter des détails de son histoire. Il n’en reste pas moins, M-H Roux est formelle à ce sujet, que le film n’aurait pas pu être diffusé sans son aval ! Fort heureusement, il a reçu le film avec émotion, l’a approuvé et a même trouvé le temps de s’associer à sa présentation à Paris !
La gestation du film a été laborieuse : il s’est écoulé dix ans entre l’écriture du scénario par Marie-Hélène Roux seule d’abord puis en collaboration avec Jean-René Lemoine et l’accueil triomphal que le dernier festival d’Angoulême a donné au film . Dix ans de galère pour trouver le financement d’un premier film sur un sujet « qui dérange » et qui devait forcément être tourné, au moins en partie, en Afrique ( il le sera au Gabon, le Kivu étant bien trop dangereux pour un tournage !). Mais aussi pour trouver un distributeur ( le film est terminé depuis 2023 !). C’est grâce à l’enthousiasme et à l’engagement de toute l’équipe : acteurs, figurants, techniciens, mais aussi de la productrice Cynthia Pinet ou du musicien Alexandre Dudermel que le projet a pu aboutir.
« Muganga » n’est pas un biopic, M-H Roux voulant éviter le caractère hagiographique qu’a, souvent, ce type de film ; et aussi, nous a-t-elle dit, parce qu’elle voulait que son film fasse une large place aux femmes, infirmières, formatrices, monitrices. Elles jouent un grand rôle à l’hôpital de Panzi : en effet, on ne se contente pas de soigner les victimes , on les aide à se reconstruire psychologiquement, et à acquérir une formation professionnelle pour assurer leur réinsertion économique . Pour ce faire, l’hôpital a regroupé une formidable équipe de femmes, parmi lesquelles se trouvent d’anciennes patientes , restées sur place pour aider leurs semblables. Ces femmes, on les découvre notamment par le regard de Maia Cadière, personnage inventé par les scénaristes qu’interprète avec beaucoup de naturel et d’émotion Manon Bresch ( photo ) . Isaach de Bankolé est magistral dans le rôle du Dr Mukwege et Vincent Macaigne lui donne brillamment la réplique en incarnant le Dr Cadière, chirurgien belge qui s’associa à son collègue africain.
Commençant par une scène d’une grande force émotive ( il ne faut surtout pas arriver en retard à ce film ! ), « Muganda » nous prend et ne nous lâche pas ! On est captivé, ému, bouleversé par cette œuvre attachante, qui rend un hommage mérité à une admirable action humanitaire. À ne pas manquer !
Jean-François Martinon
