
Isabelle Carré et Tessa Dumont-Janod présentent « Les Rêveurs » au COMOEDIA . Le 3 novembre ( photo JFM )
À 14 ans, à la suite d’une tentative de suicide, Isabelle Carré fut internée ( elle tient à ce terme ) dans un service de psychiatrie. Devenue comédienne et réalisatrice, elle est revenue sur cet épisode dans un livre « Les Rêveurs » paru en 2018. En 2024, l’auteur entreprend de porter le roman à l’écran . Mais la version cinématographique diffère assez largement du livre : alors que celui-ci se cantonnait à l’épisode vécu par l’auteur, dans les années quatre-vingts, le film navigue entre cette période et aujourd’hui. Ainsi, les deux actrices de notre photo interprètent-elles le même personnage, à 40 ans d’écart ! Il y a donc eu une véritable réécriture entre le roman et le scénario, nous a dit Isabelle Carré, et d’ajouter « le roman était pour moi, le film est pour les autres, les enfants en psychiatrie. »
Isabelle Carré est intarissable sur ce sujet qui lui tient à cœur : elle anime des ateliers d’écriture dans un service spécialisé et se tient au courant de l’évolution des pratiques thérapeutiques qui, constate-elle, ont fait beaucoup de progrès depuis l’époque où elle les subissait : à l’enfermement dans l’isolement ont succédé des pratiques basées sur le dialogue, l’ouverture et l’art thérapie, une méthode en laquelle elle croit beaucoup, elle qui s’est guérie par la pratique du théâtre. Et de déplorer d’autant plus la baisse des crédits alloués à la pédopsychiatrie : « maintenant on sait faire, il n’y a plus de moyens ! », soulignant en particulier la grande inégalité géographique dans l’offre de soins dans ce domaine !
Bref « Les Réveurs »est « un moyen de dénoncer tout ça » ! Mais ne croyez surtout pas qu’il s’agisse d’un film manifeste, d’un de ces « films à thèse » indigestes ou grandiloquents ! Isabelle Carré a voulu faire « un film doux et lumineux, pas un film choc », là l’opposé de « Vol au-dessus d’un nid de coucou ». Et elle y est parfaitement parvenue ! On suit avec empathie les personnages, à commencer par Elisabeth, double transparent d’Isabelle, superbement incarnée par Tessa Dumont-Janod, lumineuse et sensible. Une superbe performance d’actrice dont l’adolescente nous a dit que « ce n’était pas compliqué «… ». Et elle a ajouté qu’elle n’avait pas eu de mal à retourner à sa vie de tous les jours après le tournage ! Les autres « enfants malades » sont eux aussi convaincants, vivants, loin d’illustrer un catalogue de « cas ». La musique joue aussi un grand rôle dans l’atmosphère apaisée du film : « C’est l’ADN du film dit la réalisatrice qui a confié cette partie de la réalisation à son frère, compositeur talentueux. Beaucoup de chansons des années 80 sont insérées dans la B.O qui reconstitue d’autre part « le son off de l’hôpital », marqueur important des souvenirs qu’Isabelle Carré garde de son internement.. »
Pour conclure, on dira que « Les Réveurs » est un film lumineux et tendre qui, d’un air doux, dit en douceur des choses importantes sur le mal-être de beaucoup de jeunes d’aujourd’hui.
Jean-François Martinon
