
J’reviens demain ou jamais plus
Mon bel amour de l’Alcazar
Ma mort inconnue
J’ai d’avance perdu la mémoire
A trop laisser traîner mon cœur
Sur tant de trottoirs
Marseille, ville sans frontières
Cité des anges et des démons
Rêves de terre
Accrochés aux mailles d’un filet
Arrimés à tous les limons
De la misère
Fils de marin, Jean Guidoni (décédé le 21 novembre 2025) aura tôt connu du grand large, les vagues à l’âme d’une absence paternelle. Cette houle mélancolique, a certainement favorisé son goût pour la marge et la quête d’un ailleurs dans les mots et les mélodies d’une chanson hors nomes. Celui qui avait été repéré par Michel Legrand, doit un de ses premiers succès à un texte écrit en 1977 par Jacques Lanzann, également parolier de Jacques Dutronc.
On l’appelait le têtard
Car il était dans la vie
Comme un têtard dans une mare
Il nageait et plongeait
Coup de queue, coup de tête
Coups du sort, coups du cœur
Mais c’est la rencontre avec l’auteur Pierre Philippe, qui inscrira pour longtemps l’univers de Guidoni dans le monde interlope des cabarets et de la marginalité. En 1980 leur collaboration donne naissance à l’album, Je marche dans les villes. Homme de texte et de scène, il sera deux fois lauréat du prix de la chanson Charles-Cros.
Moi je marche dans les villes
Les banlieues, les bidonvilles
Sur le pavé des ports
Et sur l’asphalte vil
Visitant le décor
Des amours difficiles
Avec Pierre Philippe ils aborderont des sujets uniques et singuliers et pour beaucoup, inhabituels dans la chanson. Ce nouveau répertoire est également influencé par l’univers d’Ingrid Caven, égérie de fassbinder. Il marque un tournant dans la carrière de Guidoni. En témoigne la Chanson pour le cadavre exquis, sur le thème de la nécrophilie.
Je ne croyais plus pouvoir aimer un être humain
Avant que je n’ai vu sous la lumière verte
Tes longs cheveux dorés et ta poitrine ouverte
Il en est tant passé de corps entre mes mains
Mais j’ai compris que toi sans que nul ne l’apprenne
Tu serais l’être enfin que je pourrais chérir
Et qu’en jusqu’au jour, je jouirai à mon tour
A mourir de plaisir avant qu’ils ne te prennent
Puis suivront des spectacles et des disques tous très originaux, comme Crime passionnel, avec des textes de Pierre Philippe et des musiques d’Astor Piazzola. Dans les années 1990 il abordera cette fois des sujets plus sociaux comme le trafic de drogues, les SDF, la politique, à l’exemple de cette chanson Les concubines de la gloire
D’un œil barbare et avisé
Si elles ne sont qu’ignorance
C’est qu’elles ont l’âme qui pense
Les concubines ont leur secret
On dit d’elle : quelle rigueur
Et si leur nuit n’est que labeur
c’est qu’elles éteignent les ardeurs
De nos dignes gouverneurs
Dans les années 2012, Guidoni, avec ses complices de scène, Romain Didier et Yves Jamait, rendront un hommage à un autre grand de la chanson, Allain Leprest, avec leur spectacle Où vont les chevaux quand ils dorment, qui reprend pour titre celui d’une chanson de cet artiste.
En 2022 il sort Avec des si, son 16eme album, avec des textes majoritairement écrits par Arnaud Bousquet. On y ressent de l’apaisement, un regard plus serin sur son passé.
Je redeviens fils de marin
Qui toulonnise, qui corsicotte
Môme naviguant dans les embruns
des lèvres qui bisent, des peaux accortes
Encore un peu, oui par pitié
Pour un été je laisserais
Ma vert au mont de piété
Pour inventer le cabaret
En avril 2025, Jean Guidoni réalisait ce qui sera son dernier album, Eldorado(s). Lors d’un interview sur France-Info il déclarait : c’est très difficile pour un chanteur de faire bouger les choses. On peut le faire un petit peu quand même, mais c’est très long. La mort l’en empêche désormais, mais il reste ses chansons qui continueront de le faire un peu, beaucoup, passionnément.
Didier Venturini
PHOTO : Jean Guidoni est mort le 21 novembre. Il reste ses chansons qui continueront de faire bouger les choses. Un peu, beaucoup, passionnément. Photo David Desrumaux
